Programme du Vendredi 31 mars

Les brasseries et l’architecture au temps de l’Art déco

Présidence de séance : Alexandre Burtard, manufacture du Patrimoine.

9h30-10h30 Architecture industrielle et modernité

9h30

Le temps de l’Art déco : une fiction historique à géométrie variable ?

Gilles Marseille, historien de l’art, maître de conférences, université de Lorraine, ENSA Nancy

Nulle trace de l’expression « Art déco » dans la presse nancéienne de l’Entre-deux-guerres. De même qu’en ce début de XXIe siècle, bien des maîtres d’ouvrage, passants et usagers de bâtiments sont face à une profusion de courants architecturaux contemporains qui peuvent leur sembler indistincts, de même le quidam des années 1920-1930 voyait se construire autour de lui des édifices exacerbant, hybridant ou rejetant les stylèmes hétérogènes d’une mode diffuse sans nom ni manifeste. « Moderne » est alors le terme le plus usité pour désigner ces déclinaisons de formes géométriques que l’historiographie a bien plus tard réunies sous la bannière « Art déco ». Notre propos visera, à travers l’exemple du bassin nancéien, à interroger au plus près les manifestations architecturales de cette mode pour saisir, au gré d’une chronologie et d’une répartition territoriale complexes, comment ses variations ont trouvé formes aux façades et intérieurs d’édifices de registres typologiques choisis, et parmi eux, les brasseries.

10h00

L’architecture industrielle comme modèle : modernité, perception et usage

Audrey Jeanroy, historienne de l’art contemporain, maître de conférences, université de Tours

Les architectes et les décorateurs du Mouvement moderne entretiennent des relations culturelles, contextuelles, visuelles et pragmatiques avec le monde industriel au sens large. De la chaîne de fabrication à l’espace, des matériaux à l’usine, l’industrie irrigue l’imaginaire, les références, le projet et la théorie architecturale jusqu’à devenir un truisme historiographique, présenté comme une évidence par Venturi, Scott Brown et Izenour dans Learning from Las Vegas : « Les premiers architectes modernes s’approprièrent sans beaucoup l’adapter un vocabulaire industriel conventionnel existant. » L’intervention proposée n’a pas pour objet de revenir sur cette riche histoire d’influences mutuelles mais de questionner la notion de modèle, et ses canaux (notamment l’image), à travers les domaines dans lesquels elle s’exerce. 

10h30-11h 30 Architectes, constructeurs et entrepreneurs

10h30

Béton armé Hennebique : ancrages territoriaux et paradoxes patrimoniaux

Gwenaël Delhumeau, architecte, maître de conférences, ENSA Versailles

Dans le champ d’énoncés et de visibilités où se constitue l’histoire du béton armé, François Hennebique (1842-1921) apparaît comme une figure d’un système de production mondialisé. Or, les processus d’invention de cet « objet technique » majeur au regard d’une économie mondiale qu’il reconfigure au seuil du XXe siècle, mobilisent l’échelle des situations locales et des ancrages territoriaux où, en somme, le matériau fait prise et où s’écrit son histoire. Ainsi les stratégies du constructeur pour gagner ces lieux, territoires et institutions d’où surgit le béton armé, mettent-elles en lumière quelques-uns des ressorts paradoxaux qui actionnent le régime de globalisation terrestre dont nous héritons aujourd’hui.

Émerge avec Hennebique, une culture économique et architectonique qu’il contribue à imposer dans le monde entier, dispersant au gré d’une compétition féroce, produits, objets ou projets. C’est là qu’un tel corpus architectural et technique accède à la modernité : celle d’un projet global en réalité indifférent aux codes éclectiques ou modernistes qui s’en emparent. 

De ce « territoire » du béton armé, au sortir de la Grande Guerre, on voudrait pointer quelques rouages de la modernité qui y opèrent dans le jeu d’une polarité entre le local et le global. Le matériau ne s’inventerait-il pas, en effet, dans l’opération même qui consiste à relier un sol et un monde ?

11h00

L’industriel, l’entrepreneur, l’architecte

Pascal Thiébaut, chercheur, Inventaire général du patrimoine culturel Grand Est

Fille du développement de techniques nouvelles, la massification des productions industrielles induit une rationalisation des espaces productifs dont bénéficient particulièrement la brasserie et les activités qui lui sont liées : génie civil, matériel industriel, minoterie, chauffage. Architectes et entrepreneurs contribuent, en contrepoint à l’industriel-capitaliste qui tend à se substituer partiellement à l’industriel-ingénieur, à l’association entre l’enveloppe de l’usine et son contenu. « Architecte industriel », Félicien César (1849-1930) inaugure cette voie nouvelle de concepteurs d’usines qui restera en vigueur pendant plusieurs décennies. L’ancrage régional des entrepreneurs et des fabricants de matériel industriel se traduit par des fortes participations capitalistiques dans les brasseries. Particulièrement perceptible à partir de 1900, il tend à favoriser une spécialisation des entreprises bien souvent liées aux mêmes architectes.

11h30

Débats

Brasseries disparues, désaffectées et réhabilitées

Présidence de séance : François Goven, inspecteur général honoraire des monuments historiques

13h30

Brasseries de Champagne-Ardenne, un patrimoine malmené

Gracia Dorel-Ferré, présidente de l’APIC

À partir de 1850-1870, les brasseries, présentes partout, se multiplient et s’agrandissent, en même temps que se forme une population ouvrière. Ce sont de grosses maisons qu’aucune architecture spécifique ne distingue des autres. Après une période d’activité, qui correspond grossièrement à la période qui précède le premier conflit mondial, elles sont reprises ou reconverties dans d’autres activités.

Fondée au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Grande Brasserie Ardennaise était, à bien des égards, un monument exceptionnel. Malheureusement, tout l’espace a été rasé en 1983, pour laisser place à un hypermarché.

Après la guerre de 1870, la région parisienne se trouve coupée de ses ressources en bière. Le site de l’ancienne usine Jacquesson est idéal : sur la route de Paris et bien relié à la gare ferroviaire, disposant de caves magnifiques pour entreposer la bière embouteillée, et, en surface, un immense espace à aménager. La Comète est fondée en 1881 par un groupe de hauts fonctionnaires ou membres de l’élite sociale. La Comète devient vite la plus grosse brasserie de l’Est du bassin parisien. Peu affectée par les conflits mondiaux, elle bénéficie des grandes périodes d’expansion que sont les années 20/30 et les années 50/60. Rien ne laissait prévoir sa chute rapide et la lente dégradation de son patrimoine.

14h00

La Grande Maxéville, brasserie parisienne

Pierre Maurer, architecte, docteur en histoire de l’architecture, ENSA Nancy-LHAC

Créée à l’aube du XXe siècle par les frères Marque et située 14 boulevard Montmartre à Paris, la brasserie la « Grande Maxéville » est entièrement reconstruite au début des années 1930. L’immeuble existant, qui ne répondait plus aux attentes de la clientèle, est démoli au profit d’un nouvel édifice dont les dispositions techniques doivent satisfaire aux contraintes de la commande. Si l’architecte Joachim Richard (1869-1960) est missionné au début de l’année 1934 et conçoit sa version du projet, il est très rapidement remplacé par deux jeunes confrères : André Croizé (1897-1984) et Henri-Jean Calsat (1905-1991). La communication se propose d’interroger la conception architecturale de cette brasserie emblématique, au sortir des Années folles, en ouvrant sur son déclin après la Seconde Guerre mondiale qui mènera finalement à sa fermeture et à son remplacement par un nouvel établissement, l’actuel Hard Rock Café.

14h30

Sur les traces des cafés-brasseries des années trente, Nancy et Lorraine

Catherine Coley, historienne de l’architecture, ENSA Nancy-LHAC, AMAL

À l’image du développement des grandes brasseries industrielles sur le territoire de Nancy et alentour, les cafés et autres établissements de débit de boisson connaissent, dès la fin du XIXe siècle, une forte expansion qui culmine dans les années 1910, chaque brasseur rivalisant d’efforts pour attirer la clientèle et dépasser la concurrence.

Après-guerre, la situation évolue en fonction des nouvelles conditions d’exercice. Les cafés-concerts, souvent situés à l’extérieur, viennent s’installer au centre-ville, ce qui nécessite l’adaptation à des locaux plus vastes pour accueillir orchestres, consommateurs et danseurs ; les brasseries existantes doivent se moderniser et faire évoluer leur décoration pour s’inscrire dans la mode Art déco.

Le phénomène perdurera jusqu’au début des années cinquante, mais, affaiblis par la baisse d’activité et le désengagement des principaux producteurs de bière, les grands établissements disparaîtront peu à peu, remplacés par des cinémas ou des petits commerces.

15h00

Débats

Les Grandes Brasseries de Saint-Nicolas-de-Port

15h30

La bière à Saint-Nicolas-de-Port, aperçu historique

Benoît Taveneaux, président du musée français de la Brasserie

À l’époque des grands pèlerinages à Saint-Nicolas, la bière devait couler à flots dans les quelque 39 auberges locales. Des archives nous indiquent qu’en 1621, Pierre de Ludres bénéficie d’un droit de brassage exclusif dans la cité portoise. Après 1635 et la quasi destruction de la ville, on ne retrouvera de brasserie qu’en 1826 quand François Duval s’installe 21 rue de Laval. En 1839, les frères Bertrand ouvrent, à leur tour, une brasserie rue du Canal. Les deux établissements cohabitent avant de fusionner en 1907 sous la houlette de la famille Moreau, brasseur à Vézelise depuis 1863.

En 1931, les Moreau font ériger une nouvelle brasserie. L’architecture est confiée à Fernand César, la réalisation à France-Lanord & Bichaton, l’équipement à la maison Diebold. En 1972, Jean Moreau, qui assure la direction depuis 1933, vend à Stella-Artois qui réalise quelques investissements. On y brasse alors la traditionnelle « Hélios », mais aussi de la Vézelise et de la Stella-Artois.

En 1985, la nouvelle redoutée tombe : Les Grandes Brasseries de Saint-Nicolas devront fermer dès le printemps 1986. Un petit groupe, composé d’anciens salariés, de passionnés d’histoire locale et de quelques élus obtient le classement des bâtiments, empêchant, ipso facto, leur démolition. La mairie acquiert l’ensemble du site brassicole. Elle confie l’ancienne tour de brassage et le bâtiment administratif à une association qui, le 1er juillet 1988, ouvre le musée français de la Brasserie

16h00

La restauration de la tour de brassage de Saint-Nicolas-de-Port

Grégoire André, architecte du patrimoine chargé de la restauration

La restauration du clos et du couvert de la tour de brassage et de la salle des machines : méthodes et enjeux de la restauration d’un édifice technique de production transformé en musée

La brasserie de Saint-Nicolas-de-Port est acquise en 1906 par les frères Moreau qui font appel à l’architecte Fernand César pour l’édification d’une nouvelle salle de machines, d’un bâtiment de bureaux et d’une tour de brassage construite de 1925 à 1932 par l’entreprise France-Lanord et Bichaton. Désaffectée en 1985, la brasserie conserve ses chaudières en cuivre et abrite depuis 1988 le musée français de la Brasserie. Classé au titre des monuments historiques en 1986, le bâtiment constitue un exemple remarquable, pour sa structure en béton armé et pour son traitement architectural Art déco.

Le parti de restauration retenu conserve les dispositions existantes tout en améliorant les techniques constructives avec la restitution de certaines dispositions disparues. Les travaux ont concerné la restauration des couvertures, des parements des façades, des châssis métalliques, la restitution d’éléments d’architecture, la mise aux normes des installations techniques et la mise en place d’un système d’asséchement de l’air à froid pour traiter les phénomènes de condensation en l’absence de chauffage. Ces travaux ont été réalisés en quatre tranches successives de janvier 2019 à janvier 2023. La maîtrise d’œuvre a été assurée par l’atelier Grégoire André, mandataire associé à ALMA architecture. 

16h45

Visite de la tour de brassage restaurée

Conduite par Grégoire André, architecte, et Gwenola Michel, cheffe du chantier

18h00

Inauguration de l’exposition « Art déco et brasseries » au MFB

Marie Gloc, conservatrice des monuments historiques, DRAC Grand Est

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